Approche basée sur la CIF en vue de mesurer l’efficacité des prestations de réadaptation de la Suva
Table des matières
Auteurs: Carla Sabariego1,2,3, Melissa Selb3,4, Cristina Ehrmann3, Christian Sturzenegger5, François Lüthi6, Bertrand Léger6, Simon Figura7, Mirjam Brach3, Gerold Stucki1,2,3,4
1 Département sciences de la santé et médecine, Université de Lucerne
2 Collaborating Centre for Rehabilitation in Global Health Systems de l’Organisation mondiale de la santé, Université de Lucerne
3 Recherche suisse pour paraplégiques, Nottwil
4 ICF Research Branch, Nottwil
5 Rehaklinik Bellikon, Bellikon
6 Clinique romande de réadaptation, Sion
7 Suva, Lucerne
1. Introduction
La réadaptation est une prestation de santé qui peut aider les personnes malades ou blessées à récupérer et à maintenir la meilleure capacité fonctionnelle possible [1]. La capacité fonctionnelle est un terme utilisé par l’Organisation mondiale de la santé. [2]. Elle inclut non seulement les fonctions corporelles comme la force musculaire ou les fonctions cardiovasculaires, mais aussi la capacité à effectuer des activités quotidiennes comme la marche ou l’autosubsistance, et à participer à la vie de la société, y compris la capacité à travailler. La Suva propose à ses assurés une réadaptation complète en cas de blessures afin qu’ils puissent réintégrer rapidement leur quotidien et, au final, recommencer à travailler [3].
Les mesures de l’efficacité servent à surveiller et à évaluer des changements pouvant découler de prestations de santé. [4]. Très souvent, les mesures de l’efficacité sont déduites d’un modèle d’impact qui opère une distinction entre quatre éléments d’une mesure: les investissements financiers et structurels requis (input); ce qui en résulte (output); les résultats directement attendus (outcome) et, plus globalement, les changements au niveau de la population et du système (impact) [5]. Un modèle d’impact global pour la réadaptation conforme à la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) [6] de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été récemment proposé [7]. Ce modèle englobe un cinquième élément, à savoir les «facteurs initiaux». Les facteurs initiaux sont par exemple des données médicales et socio-démographiques, des informations relatives à l’indication à la réadaptation ainsi que les objectifs et les pronostics relatifs à la réadaptation; ces facteurs sont décisifs pour le succès de la réadaptation.
Afin de continuer à garantir des soins d’excellente qualité, la Suva a pour ambition d’établir une mesure continue et globale de l’efficacité, basée sur la CIF, des prestations ambulatoires et stationnaires de réadaptation. En collaboration avec l’Université de Lucerne, une stratégie innovante basée sur la CIF en vue de mesurer l’efficacité des prestations de réadaptation de la Suva a été élaborée en 2018. Dans le cadre d’un projet-pilote, cette stratégie a été adaptée en collaboration avec les cliniques de la Suva à Bellikon (Rehaklinik Bellikon) et à Sion (Clinique romande de réadaptation Sion), puis mise en œuvre dans le sens d’un premier projet-pilote de «faisabilité». Cet article présente l’approche de mesure de l’efficacité basée sur la CIF qui a été élaborée dans le cadre du projet-pilote.
2. Méthodes
Dans le cadre d’entretiens de consultation avec les cliniques, un modèle d’impact a été développé pour le projet-pilote (ill. 1). Compte tenu de comparaisons potentielles à l’avenir entre les cliniques, le projet-pilote s’est concentré sur la surveillance et l’évaluation des résultats d’épisodes de réadaptation, définis comme la réadaptation fournie entre l’admission et la sortie. Les comparaisons potentielles à l’avenir entre les cliniques sur la base d’outcomes ont été jugées impropres en raison du rôle que joue le contexte dans lequel évolue un patient lorsqu’il quitte la clinique. Par conséquent, la mesure de l’efficacité se concentre sur l’input et l’output en tenant compte des facteurs initiaux. Ces derniers englobent des données médicales et socio-démographiques, des informations relatives à l’indication à la réadaptation ainsi que les objectifs et les pronostics relatifs à la réadaptation. L’input se rapporte aux caractéristiques du prestataire, aux prestations de réadaptation fournies et à la durée de l’épisode de réadaptation, tandis que l’output englobe l’appréciation de la capacité fonctionnelle des patients par les professionnels de santé.
Illustration 1: modèle d’impact qui a été utilisé pour mesurer l’efficacité du projet pilote sur la base de la CIF.
Dans le projet-pilote, les données socio-démographiques ont été relevées à l’admission, tandis que les données relatives à la capacité fonctionnelle ont été saisies à l’admission et à la sortie. Dans le cadre du présent projet-pilote, l’analyse ne tient pas compte d’ informations médicales plus précises. La capacité fonctionnelle a été opérationnalisée au moyen de l’ensemble de codes CIF «ICF Generic-30» [8], qui contient 30 catégories de la CIF: neuf fonctions corporelles et 21 catégories du domaine Activités et participation (tableau 1). L’ensemble de codes CIF «ICF Generic-30» était auparavant appelé «Set Réadaptation», car il avait été développé à l’origine dans un contexte de réadaptation afin de combler une lacune dans les ensembles de codes de la CIF existant à l’époque. Ce vaste choix de catégories CIF sert à saisir et à rapporter les principaux aspects de la capacité fonctionnelle, indépendamment du problème de santé ou de la phase de réadaptation (réadaptation aiguë, post-aiguë et au long cours), et peut être utilisé tant pour la réadaptation ambulatoire [9] que pour la réadaptation stationnaire [10-11]. Pour chacune des catégories de l’ensemble ICF Generic-30, un descriptif simple (tableau 1) a été développé en allemand et en français et mis en pratique. Les professionnels de santé utilisaient habituellement des instruments de mesure développés par les cliniques pour évaluer sur une échelle de 0 à 10 (problème pleinement manifeste) chaque catégorie de la CIF. Lorsque cela n’était pas possible, ils avaient recours à l’échelle d’origine des instruments de mesure utilisés. Dans le cadre de ce projet-pilote, les catégories CIF correspondantes ont été évaluées dans les deux cliniques au moyen d’instruments de mesure ou de catégories d’évaluation partiellement différents. Pour des réflexions d’ordre statistique, notamment en raison de la taille des échantillons, l’analyse du projet-pilote a finalement été réalisée à l’aide de 19 catégories CIF.
Tableau 1: catégories du set CIF Generic-30 avec descriptions simples.
ICF Code |
Titre |
Description simple |
---|---|---|
b130 |
Fonctions de l’énergie et des pulsions |
Énergie psychique et motivation à travailler en vue d’objectifs, à satisfaire des besoins et à contrôler des pulsions |
b134 |
Fonctions du sommeil |
Qualité du sommeil sous tous ses aspects (endormissement, maintien du sommeil, durée du sommeil, etc.) |
b152 |
Fonctions émotionnelles |
Réguler et exprimer des sentiments |
b280 |
Douleur |
Sensation désagréable (douleur) dans une ou plusieurs parties du corps |
b455 |
Exercise tolerance functions |
Résistance cardiaque, vasculaire et respiratoire à l’effort physique |
b620 |
Urination functions |
Contrôler et vider la vessie |
b640 |
Sexual functions |
Fonctions mentales et physiques associées à la sexualité (p. ex. l’excitation, l’érection, la lubrification, l’orgasme) |
b710 |
Mobility of joint functions |
Amplitude et facilité de mouvement des articulations. |
b730 |
Muscle power functions |
Force d’un muscle ou groupe de muscles |
d230 |
Effectuer la routine quotidienne |
Planifier et réaliser des activités quotidiennes et gérer la routine quotidienne |
d240 |
Gérer le stress et autres exigences psychologiques |
Gérer et contrôler des situations de stress, de responsabilité et de crise |
d410 |
Changer la position corporelle de base |
Modifier la position du corps en se levant, s’asseyant, se couchant, s’agenouillant, se penchant vers le bas, s’accroupissant |
d415 |
Garder la position du corps |
Demeurer aussi longtemps que nécessaire en position debout, assise, couchée, agenouillée, accroupie |
d420 |
Se transférer |
Se déplacer d’une surface à une autre en gardant la même position du corps (p. ex. se transférer en position assise ou couchée) |
d450 |
Marcher |
Avancer pas à pas en position debout |
d455 |
Se déplacer |
Se déplacer autrement qu’en marchant (p. ex. courir, monter des escaliers, sauter, grimper) |
d465 |
Se déplacer en utilisant des équipements spéciaux |
Se déplacer en utilisant des appareils ou moyens auxiliaires (p. ex. le fauteuil roulant, le déambulateur) |
d470 |
Utiliser un moyen de transport |
Utiliser des moyens de transport (p. ex. le bus, le train, le bateau, le taxi) en tant que passager ou voyageur. |
d510 |
Se laver |
Laver et sécher son corps tout entier ou des parties du corps (p. ex. en se lavant, se douchant, se baignant) |
d520 |
Prendre soin de parties de son corps |
Prendre soin de parties de son corps qui exigent plus qu’un lavage et un séchage (p. ex. se coiffer, se couper les ongles, se raser, se maquiller). |
d530 |
Aller aux toilettes |
Prévoir et réaliser l’élimination des déchets humains (urine, selles et menstruations) et se nettoyer par la suite |
d540 |
S'habiller |
Choisir des vêtements et chaussures adaptés, les mettre et les enlever |
d550 |
Manger |
S’alimenter de façon adaptée à la situation (p. ex. utiliser des couverts, couper des morceaux de la taille d’une bouchée) |
d570 |
Prendre soin de sa santé |
Veiller à sa santé ainsi qu’à son bien-être physique et mental en adoptant un mode de vie sain (p. ex. se nourrir sainement, faire régulièrement de l’exercice) |
d640 |
Faire le ménage |
Faire le ménage (p. ex. nettoyer, ranger, laver le linge, utiliser des appareils ménagers, éliminer les ordures ménagères). |
d660 |
S'occuper des autres |
Aider les autres dans leurs activités d’apprentissage, de communication, d’entretien personnel ainsi que de déplacement et se préoccuper de leur bien-être. |
d710 |
Interactions de base avec autrui |
Interagir avec d’autres personnes d’une façon adaptée à la situation et socialement appropriée. |
d770 |
Relations intimes |
Créer et entretenir des relations amoureuses ou sexuelles (p. ex. au sein d’un couple marié ou non ou entre partenaires sexuels) |
d850 |
Emploi rémunéré |
Exercer dans les règles de l’art une activité rémunérée (à temps complet ou partiel, en tant qu’employé ou indépendant) |
d920 |
Récréation et loisirs |
Entreprendre des activités sociales, culturelles ou sportives pour se changer les idées ou occuper son temps libre |
La taille des échantillons visée a été fixée à 300 patients (150 par clinique). Des patientes et patients assurés auprès de la Suva et souffrant de blessures traumatiques, dont l’âge était compris entre 18 et 65 ans, ont été invités à participer au projet-pilote lors de leur admission pour un traitement ambulatoire ou stationnaire. Les patients ne disposant pas des connaissances linguistiques suffisantes pour comprendre le but du projet et, partant, pour donner leur consentement, ont été exclus. Pour les patients présentant par exemple des limitations cognitives relativement marquées, les membres de la famille pouvaient également signer la déclaration de consentement. Ces patients ont été priés ultérieurement de confirmer l’accord.
Un score global de la capacité fonctionnelle ainsi qu’une échelle de capacité fonctionnelle avec des caractéristiques métriques (de 0 à 100, 100 correspondant à la meilleure capacité fonctionnelle possible) ont été, comme démontré dans des études antérieures [12-13], calculés au moyen d’analyses Rasch [14] pour l’ensemble ICF Generic-30 afin de permettre des comparaisons valables et fiables du score global d’un patient à différents moments, entre les patients et entre les cliniques. L’analyse Rasch est une méthode statistique qui permet l’élaboration d’une échelle uniforme à partir d’indicateurs saisis de différentes manières (c’est-à-dire dans différents outils) dans la mesure où il existe une équivalence conceptuelle (à savoir la mesure des mêmes catégories de la CIF), comme cela a été montré dans Cieza et. al. [15]. Le score global et l’échelle de capacité fonctionnelle ont été utilisés pour identifier les évolutions de la capacité fonctionnelle pendant la réadaptation au moyen de modèles mixtes à processus latents (LPMM). En d’autres termes, à quelles évolutions peut-on s’attendre pour ce qui est des variations de la capacité fonctionnelle entre l’admission et la sortie pour certains groupes de patients (benchmarks). Les évolutions de la capacité fonctionnelle attendues en moyenne pour un groupe donné sont représentées avec leur intervalle de confiance à 95% (IC à 95%). Étant donné que les données ont été exclusivement recueillies à deux moments (à l’admission et à la sortie) et que la Suva a préféré une représentation de la variation sous forme de deltas (score à la sortie moins score à l’admission), le delta attendu en moyenne de la variation pendant la réadaptation et son IC à 95% ont été également calculés pour chaque évolution de la capacité fonctionnelle. Les facteurs permettant de prévoir les évolutions de la capacité fonctionnelle attendues (benchmarks) ainsi que le delta attendu de la variation (benchmark) de chaque patient ont été déterminés au moyen d’une analyse de régression logique multinominale. Pour finir, les évolutions attendues et observées de la capacité fonctionnelle des patients ont été comparées. La durée du séjour influant sur les deltas attendus de la variation, celle-ci a été prise en compte dans les calculs.
3. Résultats et discussion
3.1. Résumé des résultats du projet-pilote
Les données de 308 patients, pour lesquels on disposait des données à l’admission et à la sortie, ont été utilisées (tableau 2). Trois évolutions possibles de la capacité fonctionnelle pendant la réadaptation ont été identifiées (ill. 2). Les patients qui présentaient les évolutions 1, 2 ou 3 ont été correctement identifiés avec une probabilité respective de 82,7%, 89,12% et 89,97%, ce qui confirme la précision élevée des résultats. L’illustration 3 montre la répartition du delta de la variation attendue de la capacité fonctionnelle pour les évolutions identifiées. Il est important de souligner que les cliniques n’ont pas considéré comme représentative de leurs patients la durée des évolutions de la capacité fonctionnelle durant le projet-pilote, certains patients avec des durées de séjour très longues ayant également été pris en considération. Une étude de suivi doit fournir une estimation plus précise de la durée des épisodes de réadaptation.
Tableau 2: caractéristiques des participantes et participants avec données de capacités fonctionnelles disponibles à l’admission et à la sortie, utilisées afin d’identifier les courbes de capacités fonctionnelles.
Bellikon |
Sion |
||
(N=148) |
(N=160) |
||
Sexe |
Homme |
131 (88.51) |
134 (83.75) |
Femme |
17 (11.49) |
26 (16.25) |
|
Âge |
Médian (Q1, Q3) |
47.00 [34.00 – 54.00] |
45.50 [36.75 - 54.00] |
État du travail |
Employé |
107 (72.30) |
90 (56.25) |
Indépendant |
7 (4.73) |
1 (0.62) |
|
Activité non rémunérée |
1 (0.68) |
||
En formation |
5 (3.38) |
2 (1.25) |
|
Femme/homme au foyer |
1 (0.68) |
||
Retraité |
2 (1.35) |
||
Ne s’applique pas |
24 (16.22) |
67 (41.88) |
|
Manquant |
1 (0.68) |
||
Formation |
Moins que l’école primaire |
1 (0.62) |
|
École primaire |
4 (2.70) |
8 (5.00) |
|
École secondaire |
26 (17.57) |
36 (22.50) |
|
Diplôme de fin d’apprentissage |
95 (64.19) |
80 (50.00) |
|
Haute école spécialisée/université |
23 (15.54) |
33 (20.62) |
|
Doctorant |
2 (1.25) |
||
Lésions |
1 partie du corps lésée |
96 (64.86) |
159 (99.38) |
2 parties du corps lésées ou plus |
52 (35.14) |
1 (0.62) |
Illustration 2: courbes de la capacité fonctionnelle moyenne pronostiquée en fonction de la classe selon le «latent process mixed model» (LPMM) le plus adéquat et avec un intervalle de confiance de 95%. L’échelle de la capacité fonctionnelle va de 0 à 100, où 100 correspond à la meilleure capacité fonctionnelle possible. Remarque: courbes évolutives moyennes pronostiquées par classe représentées graphiquement jusqu’à la date d’évaluation maximale correspondante à l’intérieur de chaque classe.
3.2. Approche de la mesure de l’efficacité basée sur la CIF
L’approche recommandée se fonde sur un modèle d’impact (ill. 1) qui tient compte du fait que l’évolution de la capacité fonctionnelle d’un patient durant la réadaptation est influencée par les facteurs initiaux et la capacité fonctionnelle à l’admission et qu’elle diffère en fonction du groupe de patients. L’approche (ill. 4) est répartie en quatre étapes.
1re étape.
Dans le modèle d’impact, la capacité fonctionnelle est définie comme résultat central des succès de la réadaptation. En utilisant un algorithme créé dans le cadre de ce projet-pilote, un score global de la capacité fonctionnelle à l’admission et à la sortie est estimé pour chaque patient sur la base de données de routine. Ces données couvrent l’ensemble de scores ICF Generic-30. Le score global fait partie d’une échelle métrique de la capacité fonctionnelle allant de 0 à 100, 100 correspondant à la meilleure capacité fonctionnelle possible. L’échelle et le score global sont utilisés pour estimer où le patient se situe au début et à la fin de la réadaptation.
Illustration 3: répartition du delta du changement de la capacité fonctionnelle (sortie moins entrée) pour chaque classe. Le rectangle médian va du premier quartile au troisième quartile avec la partie centrale en tant que médiane et les moustaches au-dessus et en dessous de l’encadré jusqu’à ce qu’elles soient au maximum 1,5 fois aussi hautes que l’encadré (troisième quartile-premier quartile). Les points au-dessus de la moustache supérieure et en dessous de la moustache inférieure sont des cas extrêmes. Les points rouges indiquent l’évolution médiane (delta du changement). Pour chaque classe apparaissent sur l’axe des x le delta du changement et son intervalle de confiance de 95%. Il est important de souligner que les cliniques n’ont pas considéré comme représentative de leurs patient·e·s la durée des évolutions de la capacité fonctionnelle durant le projet pilote, certains patient·e·s avec des durées de séjour très longues ayant également été pris en considération. Une étude de suivi doit fournir une estimation plus précise de la durée des épisodes de réadaptation.
2e étape.
Dans le projet-pilote, trois évolutions différentes de la capacité fonctionnelle ont été déterminées (ill. 3). Les principales caractéristiques distinctives entre les trois évolutions sont le degré de limitation de la capacité fonctionnelle au début de la réadaptation et le degré d’amélioration pendant la réadaptation. Par exemple, les patients présentant l’évolution 2 (courbe orange) débutent la réadaptation avec des limitations considérables de leur capacité fonctionnelle. Durant la réadaptation, on constate une amélioration lente, mais constante. Les patients présentant l’évolution 1 (courbe verte), en revanche, débutent avec une meilleure capacité fonctionnelle qui s’améliore davantage et plus rapidement que les patients présentant l’évolution 2. Les évolutions se distinguent en ce qui concerne la durée du séjour et sont des benchmarks de ce que l’on est en droit d’attendre d’une réadaptation «réussie» pour chaque groupe de patients. La capacité fonctionnelle à l’admission est le paramètre qui préfigure le plus l’évolution pour un patient donné. Compte tenu de l’âge, du sexe, de la situation de vie, du statut professionnel, des problèmes au travail (légers ou graves) et du niveau d’éducation en tant que prédicteurs supplémentaires, il est possible de déterminer l’évolution attendue (benchmark) d’un patient à l’admission.
Illustration 4: étapes de l’approche basée sur la CIF pour analyser l’efficacité en utilisant le modèle d’impact, comme directive pour observer et évaluer les bons résultats de la réadaptation. L’entrée et la sortie se rapportent au début et à la fin de la réadaptation de chaque patiente.
3e étape.
Les cliniques ne recueillant souvent des données qu’à l’admission et/ou à la sortie, les représentants des intérêts de la Suva sont familiers des évaluations qualitatives qui se concentrent sur les deltas de variation. Par conséquent, il est recommandé d’utiliser les deltas attendus de la variation entre l’admission et la sortie comme benchmark pour chacune des trois courbes de la capacité fonctionnelle. Étant donné que les deltas attendus de chaque courbe varient en fonction de la durée de séjour du patient (définie comme input dans le modèle d’impact), le delta attendu de variation est estimé après la sortie afin de pouvoir tenir compte de la durée du séjour.
4e étape.
Pour chaque groupe de patients défini, le delta moyen observé de la variation pendant la réadaptation (sortie moins admission, en fonction de la durée du séjour) est comparé au delta moyen attendu de la variation (benchmark). Si le delta observé pour un patient donné se situe dans l’intervalle de confiance à 95% du delta attendu pour son évolution (benchmark), le patient reçoit le code 1. Si tel n’est pas le cas, le patient reçoit le code 0. Il est ainsi possible d’estimer, pour différentes périodes et pour chaque clinique, le pourcentage de patients d’un groupe donné dont l’évolution de la capacité fonctionnelle pendant la réadaptation se situe dans l’intervalle de confiance du benchmark. Les pourcentages des courbes spécifiques peuvent être ainsi également comparés entre les cliniques. L’illustration 5 montre une possible visualisation de cette approche pour une mesure de l’efficacité au sein d’une clinique au moyen de données de simulation: le pourcentage de patients dont l’amélioration de la capacité fonctionnelle a évolué comme prévu conformément au benchmark, est représenté pour des dates séquentielles en fonction des groupes de patients présentant les mêmes évolutions de la capacité fonctionnelle (T1 à T4 correspondant par exemple aux trimestres d’une année donnée).
Illustration 5: visualisation simulée de l’approche basée sur la CIF pour une mesure de l’efficacité en interne dans les cliniques: Le pourcentage de patient·e·s dont l’amélioration de la capacité fonctionnelle a évolué comme prévu, conformément au benchmark, est représenté pour des périodes séquentielles (T1 à T4 correspondant par exemple aux trimestres d’une année donnée) en fonction des courbes de la capacité fonctionnelle (classe).
4. Implications pour la pratique
Dans la présente approche de mesure de l’efficacité basée sur la CIF visant à procéder au suivi et à l’évaluation des mesures de réadaptation, le modèle CIF est utilisé comme cadre de référence, la capacité fonctionnelle jouant un rôle central en tant qu’output de base. Celle -ci est opérationnalisée au moyen d’un outil complet, standardisé et générique, appelé «ICF Generic-30». Cette approche tient compte du fait que l’évolution de la capacité fonctionnelle pendant la réadaptation peut varier en fonction du groupe de patients. C’est la raison pour laquelle des benchmarks sont utilisés pour les groupes de patients, la réadaptation étant considérée comme réussie pour des patients individuels lorsque les variations observées de la capacité fonctionnelle correspondent aux variations attendues (benchmarks) du groupe duquel la personne fait partie. Les analyses décrites ont été utilisées afin de proposer à l’avenir une stratégie fondée pour la mesure de l’efficacité des prestations de réadaptation de la Suva dans les cliniques et au-delà du cadre des cliniques qui tienne entièrement compte de l’hétérogénéité des patients. Pour ce faire, il est cependant nécessaire de réaliser une étude de suivi afin de pouvoir procéder aux ajustements nécessaires à une implémentation de routine.
Le succès d’une implémentation à grande échelle de l’approche dépend de la disponibilité et de l’accessibilité des données relatives à la capacité fonctionnelle. Il est par conséquent recommandé de tenir compte de toutes les catégories de l’ensemble ICF Generic-30 lors de la collecte de routine des données relatives à la capacité fonctionnelle. En raison du fait qu’il s’agissait d’un projet-pilote, l’objectif était de permettre l’analyse prévue des données avec des échantillons les plus restreints possibles. Bien que l’analyse par échantillonnage ait été suffisante pour tester la méthodologie, elle présente aussi des limites. L’analyse des données présentée dans le présent rapport doit être vérifiée et mise à jour une fois que suffisamment de données de routine seront disponibles. La méthode recommandée met à disposition des cliniques et de la Suva des pourcentages de groupes de patients qui atteignent les benchmarks attendus. Toutefois, elle ne donne aucune indication sur les pourcentages pouvant être considérés comme bons ou très bons. Il est en outre conseillé de recourir au modèle d’impact proposé afin d’en définir les indicateurs «SMART» (spécificité, mesurabilité, faisabilité, pertinence et délais imposés) [16]. Pour conclure, le succès d’une implémentation à grande échelle de la présente approche dépend de la disponibilité, de la qualité et de l’accessibilité de données complètes relatives à la capacité fonctionnelle. Nous recommandons par conséquent une collecte régulière de données de routine qui englobent également des informations sur la capacité fonctionnelle conformément à toutes les catégories de l’ensemble de codes ICF Generic-30. Le modèle d’impact qui a été utilisé dans le cadre de cette étude-pilote peut et doit être développé et peaufiné dans le cadre d’un projet de suivi.
Adresse de correspondance
Assistenzprofessorin PD Dr. Carla Sabariego, MPH
Departement Gesundheitswissenschaften und Medizin, Universität Luzern
Frohburgstrasse 3, 6002 Luzern
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