Rupture du ligament scapho-lunaire (SL) du poignet et ses conséquences
Les lésions du ligament SL suite à un traumatisme du poignet passent facilement inaperçues. Or, les conséquences peuvent être aussi graves que celles d’une fracture intra-articulaire du radius distal. Cet article aborde les mécanismes pathogéniques, les complications, le diagnostic et le traitement des ruptures du ligament SL.
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Auteurs
Thomas Meier, Médecine des assurances Suva
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Les lésions du ligament scapho-lunaire (SL) qui surviennent suite à un traumatisme de la main ou du poignet passent souvent inaperçues. Or, les conséquences peuvent être aussi graves que celles d’une fracture intra-articulaire du radius distal. Lors du traitement d’une blessure au poignet, il est donc fondamental de s’assurer que le patient ou la patiente ne présente pas de rupture du ligament SL. Le présent article aborde les mécanismes pathogéniques, le diagnostic et le traitement des ruptures du ligament SL.
Anatomie et mécanismes pathogéniques
Pour bien comprendre les conséquences que peut entraîner une rupture du ligament scapho-lunaire, il est important de connaître les structures anatomiques du carpe. La rangée distale des os du carpe est un élément essentiellement fixe. Elle est articulée avec les os métacarpiens et les ligaments intercarpiens. En revanche, les os de la rangée proximale du carpe sont unis de manière dynamique à la surface articulaire du radius, faisant office d’éléments de liaison. De manière générale, on distingue un appareil ligamentaire intrinsèque, à savoir les ligaments intercarpiens, et un appareil ligamentaire extrinsèque, à savoir les ligaments en V palmaire et dorsal ainsi que les liaisons avec le radius et l’ulna [1]. Afin de simplifier la classification des ruptures ligamentaires carpiennes, Linscheid [2] a proposé en 1993 de les subdiviser en différents types: le type CID (Carpal Instability Dissociative) en cas de lésions des ligaments SL et LT (ligament luno-triquétral), et le type CIND (Carpal Instability Non Dissociative) en cas de lésions de l’appareil ligamentaire extrinsèque ou de malposition des os du carpe. En 1981, Lichtman [1] a décrit les os capitatum, scaphoideum, lunatum et triquetrum intrinsèquement liés comme un anneau sous tension, permettant une meilleure compréhension des mécanismes pathogéniques par rapport à d’autres modèles [3][4].
Ainsi, une rupture de l’«anneau carpien» entraîne à la longue un collapsus carpien. Sont considérées comme une rupture traumatique, la fracture du scaphoïde, la rupture du ligament SL, la rupture du ligament luno-triquétral ou encore la fracture-luxation périlunaire. En cas de rupture du ligament SL et de fracture du scaphoïde, le lunatum glisse vers le palmaire et bascule vers le dorsal. Le scaphoïde, quant à lui, se met en position de flexion. En raison de ce mécanisme pathogénique, la rupture du ligament SL entraîne une déformation en DISI (Dorsal Intercalated Segment Instability), soit une augmentation de l’angle scapho-lunaire à plus de 70°. De plus, une dissociation scapho-lunaire se forme au fil du temps. La tension au niveau de l’anneau étant interrompue, l’os capitatum vient s’intercaler au niveau proximal entre l’os lunatum et l’os scaphoïde. Il en résulte un SLAC-Wrist (Scapholunate Advanced Collapse) accompagné d’une arthrose radiocarpienne [5]. Watson et Ryu [6] distinguent trois stades dans le SLAC-Wrist. Au stade I, l’arthrose se limite à la styloïde radiale (très rare), au stade II, l’arthrose s’étend de la surface articulaire dorsale du radius au pôle proximal du scaphoïde, au stade III, l’arthrose gagne l’articulation médiocarpienne et s’accompagne d’une descente de l’os capitatum. Conséquence: cela provoque un collapsus carpien.
Le ligament SL constitue l’élément stabilisateur principal du carpe [7]. Il s’étend en forme de U entre le lunatum et le scaphoïde sur une longueur d’environ 20 mm. Sur le plan distal, il est circonscrit par des bords libres. L’axe de rotation de l’articulation SL étant situé dans la partie dorsale de l’articulation [8], la radiographie ne permet pas d’identifier un élargissement de l’espace scapho-lunaire malgré la déhiscence partielle du ligament. Sur le plan anatomique, le ligament est composé de trois parties: dorsale, proximale et palmaire. L’épaisseur du ligament diffère dans ces trois zones, ce qui influe sur les mouvements de rotation et de distraction entre le scaphoïde et le lunatum. L’élasticité est également différente. La portion dorsale résiste à des forces de 300 N et la partie palmaire à des forces de 150 N. La région proximale affiche quant à elle une résistance moindre de seulement 25 à 50 N [9].
Circonstances de l’accident
Mécanismes pouvant être à l’origine d’une rupture du ligament SL
Les ouvrages de référence décrivent de multiples mécanismes susceptibles d’endommager le ligament SL. En fin de compte, deux éléments principaux se dégagent: la compression axiale et l’extension dorsale. Dans le cas d’une compression axiale, l’os capitatum est poussé en direction du lunatum et du scaphoïde, entraînant la rupture de l’anneau carpien à l’endroit le plus fragile. C’est notamment ce qui se produit en cas de chute sur la main – un incident qui peut également conduire à une fracture du radius distal ou du scaphoïde. Il convient alors ici de distinguer les nuances au niveau de la position de la main (p. ex. abduction radiale et abduction ulnaire). Il en va de même pour l’hyperextension. Ici s’ajoute le fait que la tubérosité dorsale du scaphoïde est pressée contre le bord du radius et donc bloquée, tandis que le lunatum peut poursuivre le mouvement. Ce mécanisme peut entraîner la rupture du ligament SL. En cas de flexion, d’inclinaison radiale et ulnaire et de compression axiale, des lésions sont également possibles, dans ce cas uniquement en pronation ou supination, bien qu’il s’agisse ici de considérations plutôt théoriques.
Mécanismes n’entrant pas en ligne de compte dans le cas d’une rupture du ligament SL
Tous les mécanismes qui, en raison de leur pathomécanique, ne peuvent en principe pas être à l’origine d’une rupture du ligament SL. Citons notamment des traumatismes dus à un choc, sans mécanisme de torsion et sans flexion ou extension, en particulier lorsqu’on n’observe aucune lésion concomitante telle qu’un hématome, des écorchures, etc., ainsi que des mouvements isolés de pronation et supination sans application de force axiale.
Lésions du ligament SL indépendantes d’un accident
Les ouvrages de référence décrivent également des lésions du ligament SL liées à l’usure. De fortes sollicitations des mains peuvent évoluer en lésion complète suite à un étirement et une rupture partielle. Les lésions dégénératives du ligament SL s’accompagnent souvent de lésions au niveau du ligament luno-triquétral et du ligament triangulaire du carpe (TFCC - Triangular Fibrocartilage Complex). On peut dans ce cas observer des modifications au niveau des deux mains. Wright et al [10] ont décrit, sur 62 poignets symptomatiques chez des personnes âgées de plus de 50 ans, des lésions du ligament SL dans 29 % des cas et des lésions du ligament luno-triquétral dans 32 % des cas. Plus de 50 % de ces patientes et patients présentaient en outre des modifications du ligament TFCC.
Diagnostic
Outre une anamnèse détaillée (également en ce qui concerne l’évolution des douleurs), il est nécessaire de procéder à un examen minutieux de la main, de documenter les signes extérieurs de lésion, les douleurs à la pression et à la mobilisation, la mobilité du poignet et d’effectuer les différents tests spécifiques (
L’incidence de Moneim (avec poignet en pronation de 20°), l’incidence de Stecher (avec poignet en légère inclinaison ulnaire et en supination de 20°) et la tomodensitométrie (TDM) sont considérées comme des moyens diagnostiques supplémentaires permettant de déterminer avec fiabilité la présence éventuelle d’une modification osseuse [12]. Enfin, une arthro-IRM de la main peut également permettre à un radiologue expérimenté d’obtenir de précieuses informations.
Afin de déterminer si une intervention chirurgicale est indiquée ou non, on utilise l’arthroscopie. Elle sert à la fois au diagnostic et aux conclusions, permet également un examen critique et aide à décider de l’utilité ou non d’une intervention mini-invasive simultanée. Geissler [16] a élaboré une classification arthroscopique des lésions ligamentaires intercarpiennes qui est aujourd’hui largement utilisée (tab. 1).
Degré | Description |
1 | Étirement ou saignement des ligaments interosseux, visible depuis le compartiment radio-carpien. Le ligament lésé peut afficher un renflement convexe. Pas d’incohérences dans la structure carpienne de l’espace médio-carpien. |
2 | Étirement ou saignement des ligaments interosseux, visible depuis le compartiment radio-carpien. Incohérence ou formation d’un escalier osseux entre les contours articulaires des os carpiens vus depuis l’espace médio-carpien. Espace minime entre les os carpiens, inférieur à la largeur du crochet palpeur. |
3 | Incohérence et écartement des os carpiens à partir des deux compartiments. Espace entre les os carpiens franchissable avec des crochets palpeurs. L’optique ne peut pas passer, même en cas d’insistance. |
4 | Identique au degré 3, mais avec une instabilité accrue lors des manipulations. Espace franchissable avec une optique de 2,7 mm. |
Tableau 1: Classification des lésions ligamentaires intercarpiennes selon Geissler [16]
Une rupture du ligament SL est souvent difficile à identifier précocement. Les douleurs initiales ressemblent souvent à une simple entorse du poignet, y compris dans l’évolution de la douleur. Au bout d’un certain temps, les douleurs diminuent, le poignet conserve sa mobilité et sa résistance. Ce n’est qu’après plusieurs mois, voire plusieurs années, que la dissociation scapho-lunaire croissante et les modifications arthrosiques naissantes provoquent des troubles durables qui, bien souvent, donnent alors lieu à des investigations plus approfondies. La rupture du ligament SL et ses conséquences sont ainsi généralement découvertes par hasard lors de radiographies effectuées pour un autre motif. Malheureusement, les options thérapeutiques sont limitées lorsque la dissociation SL est déjà bien avancée.
Classification et traitement
De nombreux auteurs ont établi des classifications pour les ruptures du ligament SL et du ligament luno-triquétral (entre autres, Linscheid [13], Watson [14], Adolfsson [15], Geissler [16] et Haussmann [17]). Il serait intéressant de mettre en place une classification qui transposerait les critères arthroscopiques de Geissler aux aspects radiologiques. En 1997, Watson a élaboré trois degrés de gravité qui se déterminent sur la base de l’instabilité (tableau 2). Parallèlement, il a évalué le stade des modifications arthrosiques, comme décrit ci-dessus, et en a déduit différentes possibilités de traitement. Tout comme Krimmer [18], il considérait que les mesures de reconstruction n’étaient indiquées qu’au stade I (modifications arthrosiques uniquement présentes au niveau de la styloïde radiale) et en l’absence d’un schéma d’instabilité (degré I, voir ci-dessus).
Rupture du ligament SL | Morphologie | Schéma d’instabilité |
Degré I | Rupture partielle | Aucun |
Degré II | Rupture complète | Dynamique |
Degré III | Rupture complète | Statique |
Tableau 2: Classification des ruptures du ligament SL sur la base du schéma d’instabilité (Watson et al [14].
Une lésion survenant jusqu’à deux semaines après l’événement est considérée comme une lésion aiguë [19]. En cas de rupture partielle aiguë, il est recommandé de procéder à une immobilisation (avec plâtre) de quatre à six semaines. En cas de ruptures complètes, on privilégiera une suture ligamentaire par transfixation temporaire, ainsi qu’une immobilisation (avec plâtre). Si les ruptures sont plus anciennes, il convient d’envisager une plastie ligamentaire. On peut dans ce cas procéder à une capsulodèse au ligament intercarpien dorsal [20], à une plastie ligamentaire selon Brunelli et Brunelli [21] ou à l’intervention modifiée selon Garcia-Elias [22]. La littérature attribue à ces méthodes des taux de réussite différents. Ainsi, la fusion (arthrodèse) du scaphoïde et du lunatum n’a pas bonne presse dans les ouvrages de référence car, si elle réussit, c’est-à-dire si elle est réalisée correctement, elle entraîne des limitations fonctionnelles ainsi qu’une arthrose radio-carpienne précoce. Cette méthode n’est donc plus utilisée.
En cas de rupture totale avec instabilité dynamique ou statique et signes d’arthrose correspondants (degrés II et III), on ne peut bien souvent recourir désormais, selon l’intensité des douleurs, qu’aux fusions intercarpiennes (arthodèse des quatre os médiaux du carpe, arthrodèse RSL), à la résection de la première rangée des os du carpe ou à l’arthrodèse du poignet.
Résumé et conséquences pour l’appréciation de la médecine des assurances
Les ruptures du ligament SL ne sont pas toujours d’origine traumatique. Chez les personnes de plus de 50 ans, on observe souvent des lésions dégénératives du ligament SL. Avant l’âge de 50 ans, les ruptures de degré I et II dues à l’usure ne sont pas rares non plus et touchent près de la moitié des poignets. Dans plus de 50 % des cas, les lésions ligamentaires s’observent également sur le poignet «sain» asymptomatique. La littérature décrit également la présence fréquente d’une lésion concomitante du TFCC.
En cas d’accident, les circonstances de ce dernier doivent être vérifiées en détail. Il n’y a pas nécessairement besoin d’appliquer une force importante pour provoquer une lésion ligamentaire. Comme la symptomatologie correspond souvent à l’évolution d’une banale entorse du poignet, les ruptures de stade I passent généralement inaperçues. Si l’anamnèse révèle essentiellement des signes de lésions liées à l’usure, il est important de toujours comparer l’imagerie du côté symptomatique avec une imagerie du côté asymptomatique. L’arthro-IRM est la méthode de diagnostic standard. Elle offre une précision de 89 %. En revanche, des traumatismes causés à grande vitesse sont généralement d’origine accidentelle. Il est important de savoir qu’une dissociation scapho-lunaire ne survient pas immédiatement, même en cas de rupture complète du ligament SL, mais se développe sur une longue période (des mois, voire des années).
Au stade initial, l’arthroscopie est l’examen diagnostique le plus pertinent. Elle permet d’évaluer les chances et le pronostic d’une reconstruction primaire du ligament et – si cela est possible de manière peu invasive – de déterminer s’il est possible de réaliser une opération unilatérale ou de traiter par plastie ligamentaire. Les ruptures de ligaments diagnostiquées tardivement ont des conséquences thérapeutiques importantes (arthrodèses partielles, résection de la première rangée des os du carpe) pouvant aller jusqu’à l’arthrodèse complète ou la pose d’une prothèse, ce qui a dès lors des répercussions considérables sur la capacité de gain de la personne assurée. La capacité de charge du poignet étant réduite, cela entraîne une diminution de la capacité fonctionnelle.
Adresse de correspondance
Dr. med. Thomas Meier
Médecine des assurances Suva
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