Exoprothèses – State of the art
Il a été démontré à maintes reprises que la prise en charge de porteurs d'exoprothèses est surtout un travail d'équipe impliquant des médecins, des techniciens orthopédistes ainsi que des physiothérapeutes et des ergothérapeutes. En milieu hospitalier, la prise en charge psychologique des personnes amputées joue également un rôle important. Cet article offre un aperçu de l'état actuel du traitement moderne par exoprothèses en Suisse.
Table des matières
Le point de vue médical
En vue de l'appareillage ultérieur par prothèse des patients amputés, il est important que les possibilités en matière de technique orthopédique soient déjà évaluées conjointement avec les chirurgiens en amont d'une amputation programmée, et ce, afin de pouvoir obtenir les meilleurs résultats fonctionnels possibles.
Jadis, la tendance en chirurgie de l'amputation était: « Plus le moignon est long, mieux c'est ». A l'heure actuelle, ce n'est plus systématiquement le cas, car l'on dispose de nouvelles prothèses avec des composants et des articulations électroniques. Lorsque les tissus mous sont en mauvais état – par exemple en cas d'amputation distale du bras ou de désarticulation du genou –, il est ainsi parfois judicieux de raccourcir l'humérus ou le fémur afin que les articulations électroniques qui nécessitent un certain espace et un certain axe puissent être intégrées ultérieurement sans problème dans la prothèse. Certains opérateurs et certains patients ont du mal à accepter cela, car on a naturellement tendance à conserver un moignon aussi long ou un bras de levier aussi important que possible. Dans ces cas-là, certains chirurgiens doivent apprendre à penser autrement; quant aux patients, ils doivent être soigneusement conseillés et informés.
Quand un moignon peut-il être appareillé ?
Dans les amputations au niveau du pied (Chopart/Lisfranc), il faut veiller à obtenir aussi bien un appui terminal osseux suffisant qu'un développement de la tension musculaire (fig. 1).
En cas de pied équin de plus en plus marqué sans appui terminal suffisant, on est souvent obligé de pratiquer une arthrodèse tibio-talo-calcanéenne.
Il n'est pas rare qu'une arthrodèse tibio-talo-calcanéenne ou une myoplastie correspondante s'avère nécessaire par la suite. Dans tous les cas, le moignon osseux doit être arrondi, même au niveau du fémur et du tibia (fig. 3).
Dans les amputations de la jambe, le péroné doit être 2 cm plus court que le tibia (fig. 4). Les moignons piriformes, comme il n'est pas rare d'en observer en période post-opératoire, doivent être modelés par compression pour obtenir une forme conique.
Cliché gauche: péroné trop long
Cliché droite: péroné après correction réussie de sa longueur
Dans les désarticulations du genou, tant la patellectomie que le raccourcissement du fémur d'environ 7 cm sont utiles pour un appareillage optimal ultérieur (fig. 5).
Dans les amputations de la cuisse, la longueur du fémur doit être d'au moins 15 cm (mesurée depuis le grand trochanter) afin que le fût osseux soit suffisant pour assurer un appareillage adéquat (fig. 6).
Exemple négatif d'un fémur trop court avec surabondance de tissus mous après amputation de la cuisse: la longueur osseuse utilisable n'est que de 100.20 mm, autrement dit trop courte pour assurer un appui prothétique suffisant. Le rapport entre les tissus mous et l'os est supérieur à 1:1 (230,03 mm:100,20 mm), ce qui signifie que les tissus mous sont nettement trop longs.
Les moignons recouverts d'une greffe en résille, avec la réduction de la capacité de charge cutanée en contact distal qui en résulte, sont à éviter dans la mesure du possible. En outre, le revêtement par les tissus mous doit être suffisamment stable, ne pas présenter d'infection et ne pas être surabondant (fig. 6 + 7).
Composants pour les membres inférieurs
Le pied humain forme la base de la station verticale. Il n'est donc pas étonnant que le pied constitue le composant fondamental dans les prothèses. Au cours des siècles derniers, les prothèses de pied étaient avant tout faites de bois, de feutre, de métal, de caoutchouc et de mousse de plastique. Au milieu des années 1980, un ingénieur aéronautique, Van Phillips, fondateur de l'entreprise Firma Flex Foot, développa un nouveau type de pied prothétique. Van Phillips, lui-même amputé à la suite d'un accident de sport, ne voulait pas accepter qu'un pied en mousse de plastique soit la mesure de toutes choses.
A partir d'un ski fait de différents matériaux composites, il se bricola les premiers prototypes. La forme originelle du ski est encore facilement reconnaissable sur les pieds en carbone actuels (fig. 8).
Les pieds en carbone sont souvent appelés « à restitution d'énergie », ce qui est pourtant erroné. Ces prothèses de possèdent pas de batterie intégrée que l'on charge et qui se décharge à la marche. Le pied en carbone correspond plutôt à un ressort: lorsque l'on comprime un ressort spiral, il se détend à nouveau avec la même force.
C'est ce principe qui est utilisé pour marcher avec un pied en carbone. Tous les patients profitent de cet effet de ressort – non seulement les jeunes, actifs, mais aussi les personnes plus âgées.
Des pieds prothétiques toujours plus complexes sont conçus pour un niveau de marche confortable (fig. 10). Désormais, on trouve sur le marché non seulement des constructions purement mécaniques, mais aussi de plus en plus de composants électromécaniques pour le pied. En orthopédie technique aussi, il n'est plus possible d'arrêter l'e-mobilité.
Les genoux prothétiques sont les éléments les plus chers des prothèses fémorales, qu'il s'agisse d'articulations purement mécaniques ou bien assistées par microprocesseur. Dans le monde, il existe actuellement sur le marché env. 3000 genoux purement mécaniques, env. 15 genoux hybrides où seule la phase d'oscillation est contrôlée, et 7 genoux mécaniques assistés par microprocesseur (où tant la phase d'oscillation que la phase d'appui sont contrôlées dans le cycle de la marche).
Les prothèses de genou simples assistées par microprocesseur existent sur le marché depuis 1997 et sont considérées comme la norme dans les prothèses fémorales depuis 2000 env. (fig. 11). En Suisse, ces prothèses continuent malheureusement à être qualifiées d'accessoires de luxe par les organismes concernés et ne sont autorisées qu'au compte-gouttes.
Des genoux plus complexes assistés par microprocesseur sont disponibles sur le marché depuis 2010 et sont considérés comme « state of the art » en matière de prothèses fémorales (fig. 12). Les organismes concernés en Suisse estiment cependant qu'il n'existe pas encore de mandat de prestations pour cela. Néanmoins, la jurisprudence récente va dans une autre direction: en conséquence, des tribunaux ont dans certains cas déjà approuvé des prothèses de genou complexes.
Les besoins des patients gériatriques ont de plus en plus été pris en compte dans les prothèses depuis quelques années. Depuis 2015, on dispose du premier genou gériatrique mécanique simple assisté par microprocesseur. Les divers modes d'assistance sont utilisés pour adapter la prothèse de genou aux besoins réels du patient.
Ce type de genou sert non seulement aux patients âgés, mais aussi aux patients jeunes en phase de réadaptation ou aux patients ayant besoin d'une assistance importante dans la vie quotidienne avec une prothèse fémorale, par ex. pour se lever et s'asseoir (fig. 13). L'avenir de l'appareillage des membres inférieurs réside dans le raccordement de composants intelligents.
Composants pour les membres supérieurs
Dans le domaine des prothèses des membres supérieurs, les composants de la main multi-articulée sont la norme au niveau technique depuis plusieurs années. Ces composants permettent plusieurs types de préhension et donnent ainsi davantage de flexibilité aux patients. L'emploi de ces mains apporte une valeur ajoutée significative et revêt un grand intérêt dans la vie quotidienne de l'utilisateur. Il s'agit là d'un point important, car ce n'est que si l'appareillage apporte quelque chose à l'utilisateur qu'il se servira de la prothèse et ne la laissera pas dans son armoire.
Dans les composants de la main multi-articulée, il existe des solutions hybrides assez simples dans lesquelles l'utilisateur doit changer manuellement les types de préhension et positionner le pouce de façon mécanique afin de pouvoir utiliser tous les types possibles de préhension (fig. 14).
Pour certains utilisateurs, il s'agit d'un progrès par rapport aux mains myoélectriques en usage depuis les années 1960. Les mains multi-articulées complexes sont commandées entièrement par des signaux musculaires ou par des contrôles par geste (fig. 15 + 16). L'avantage pour l'utilisateur est nettement plus grand, mais l'apprentissage de l'utilisation de telles mains est également plus complexe.
En ce qui concerne les coudes électromécaniques, qui sont la norme en matière de technologie depuis les années 1980, les développements ne sont malheureusement que très timides. Le contrôle par les signaux musculaires signifie une activité accrue, mais aussi un effort physique important pour l'utilisateur qui doit piloter chaque mouvement activement (fig. 17).
Systèmes de raccordement
Les systèmes de raccordement actuels par manchons, systèmes de fermeture ou systèmes créant un vide d'air sont basés sur le développement des manchons par Össur Kristinsson dans les années 1980. Lui-même amputé de la jambe et technicien orthopédiste, il souhaitait créer un meilleur raccordement entra la prothèse et l'utilisateur. Sur le plan technique, le manchon en silicone demeure à ce jour le plus répandu, quelques systèmes de fermeture et de vide étant venus entre-temps s'y ajouter.
Dans les prothèses de jambe, plus de 90 % des patients sont équipés d'un manchon, car les structures osseuses sont particulièrement sensibles au niveau du moignon (fig. 18).
Dans les prothèses fémorales et les prothèses des membres supérieurs, 50 % des patients sont appareillés classiquement sans manchon et 50 % avec manchon. Dans ces domaines, l'emboîture interne en silicone HTV (vulcanisation à haute température) fabriquée sur mesure tend à s'imposer de plus en plus, car elle permet d'obtenir un raccordement encore meilleur qu'avec un manchon (fig. 19).
Systèmes d'emboîture
La forme d'emboîture (fût et manchon) aujourd'hui enseignée dans les prothèses de jambe se fonde sur le type classique d'emboîture dit KBM (« Kondylen-Bettung Münster »). Les principales différences entre les diverses prothèses tibiales concernent la coupe du bord de l'emboîture et la forme du collet de l'emboîture. Les zones supportant la charge ainsi que la hauteur et la forme de la paroi postérieure de l'emboîture sont de toute première importance.
Dans les prothèses fémorales, de nombreuses sous-formes d'emboîture ont été développées au cours des 30 dernières années sur la base de deux types d'emboîtures: la forme quadrangulaire ou la forme à ischion intégré. Toutefois, le principe du verrouillage osseux de l'emboîture entre l'ischion et le grand trochanter ainsi que le centrage de la force axiale en résultant sur la hanche demeure le même dans tous les cas. Le collet de l'emboîture est essentiel et décrit les sous-formes des emboîtures. Ces dernières années, le bord de l'emboîture a été déplacé de plus en plus vers le bas afin de redonner à la hanche sa liberté de mouvement naturelle. Il convient d'éviter les bords d'emboîture qui coincent les tissus mous. De même, l'emboîture en contact intégral est un must afin de prévenir les irritations du moignon et les altérations cutanées. Les plus récents développements concernent des formes d'emboîtures dont le maintien est assuré purement par les masses musculaires. Dans ce cas, les groupes musculaires au niveau du moignon sont haubanés pour stabiliser l'emboîture. Le moignon doit présenter une bonne tension musculaire et avoir une certaine longueur, faute de quoi cette méthode peut échouer. De leur côté, les formes des emboîtures du membre supérieur n'ont pas connu d'évolution significative ces dernières années, mais de nouveaux matériaux et techniques de traitement ont vu le jour.
Les manchons en silicone ou les emboîtures internes en silicone HTV sont de plus en plus employés. Le tracé du bord de l'emboîture peut être raccourci ou redessiné. De nouvelles techniques de fermeture facilitent la mise en place de la prothèse et améliorent ainsi l'ensemble de l'appareillage (fig. 20).
Résumé et take-home-message
Bien que les représentants des divers groupes professionnels mentionnés au début de cet article aient des points de vue différents, ils poursuivent toujours le même objectif dans leur travail commun sur et avec le patient: aboutir à un résultat optimal pour le patient. L'interface « homme / machine » continue à demeurer ici le plus grand défi. Les porteurs de prothèse ont souvent besoin d'un accompagnement et d'une prise en charge à vie, car leurs besoins et leurs exigences évoluent selon les phases de leur existence, et les exoprothèses nécessaires ou souhaitées doivent être adaptées en conséquence.
Il n'existe pas encore de système de raccordement parfait entre l'homme et la prothèse, mais le développement de nouveaux tissus devrait déboucher à l'avenir là aussi sur de meilleures solutions. Les composants peuvent remplir de plus en plus de fonctions et ils communiqueront davantage entre eux à l'avenir. La connexion avec le système nerveux humain fait également l'objet de recherches. L'e-mobilité trouve elle aussi sa place dans l'orthopédie technique, ce qui signifie toutefois que les prothèses deviennent de plus en plus lourdes. De même, les coûts des composants « intelligents » augmentent.
La confection moderne et correcte de l'emboîture constitue la clef du succès, et une conception anatomique de l'emboîture est indispensable pour ne pas limiter la liberté de mouvement de l'utilisateur. Du point de vue économique, la réussite de l'appareillage et donc de la réintégration est le but visé après une amputation. Cependant, tous les patients ne peuvent pas être appareillés. C'est le médecin pratiquant l'amputation qui crée les meilleures conditions pour un bon appareillage. Or il ne peut le faire que s'il connaît les appareillages actuels.
Les composants sont des dispositifs médicaux qui sont contrôlés et approuvés conformément aux réglementations légales. En Suisse, c'est l'ordonnance sur les dispositifs médicaux qui réglemente l'emploi de ces composants, et pas les organismes finançant les prestations ou leurs organes de contrôle. En général, les patients cherchent à bénéficier du maximum de soins ainsi que de la meilleure réintégration possible dans la société, parfois combinés avec le souhait d'obtenir le versement d'une rente aussi élevée que possible. Ces intérêts s'opposent par moments aux critères « EAE » des assurances.
Adresse de correspondance
Dr. med. Joachim Schuchert
Suva Versicherungsmedizin
Michael Hofer
Orthopädie-Techniker-Meister CPO, Leiter Technische Orthopädie
Mutschellenstrasse 2
5454 Bellikon